RESUMESimon est un émule de St-Simeon, ascète syrien, qui aurait vécu quarante ans sur une colonne. Comme lui, il vit en ermite, et fait pénitence au sommet d'une tour de huit mètres de haut, dressée en plein désert syrien. Un riche miraculé lui en offre une autre, plus haute, avec une plate-forme entourée d'un parapet, en signe de reconnaissance.
Simon prie et se livre au jeûne toute la journée. Il ne se nourrit que de feuilles de salades et d'eau. Une foule curieuse, ou pieuse, vient le voir dans l'attente d'un miracle. Pour mieux se mortifier, il reste en équilibre sur un pied.
Mais, le plus difficile est de résister aux tentations du diable qui s'ingénie à replacer Simon dans notre siècle. Prenant, tour à tour, les aspects d'une perverse, joueuse de cerceau, de Jésus, barbu, gardant ses moutons, d'une vamp se déplaçant dans le désert sur un cercueil automoteur, le diable parvient à le faire quitter sa colonne et à l'entraîner à bord d'un jet, en direction de New York.
La barbe taillée, vêtu d'un pull-over, fumant la pipe et buvant du coca-cola, Simon se retrouve dans une boîte de nuit où des couples se livrent à une danse nommée : "chair radioactive". Simon voudrait bien repartir, mais le diable l'avertit : "Il n'y a rien d'autre, tu dois rester ici."
FICHE TECHNIQUERéalisation : Luis BUÑUEL (1965)
Scénario : Luis BUNUEL, Julio ALEJANDRO
D'après une histoire de Luis BUNUEL
Directeur de la photographie : Gabriel FIGUEROA
Musique : Raul LAVISTA et les tambours de La Semaine Sainte de Calenda
Production : Gustavo ALATRISTE
Distribution : Panthéon Distribution
Durée : 42 minutes
DISTRIBUTIONClaudio BROOK (Simon)
Hortensia SANTOVENA (La mère de Simon)
Silvia PINAL (Le diable)
Jesus FERNANDEZ MARTINEZ (Le berger nain)
Enrique ALVAREZ FELIX (Frère Matias)
Enrique GARCIA ALVAREZ (Frère Zenon)
Eduardo MAC GREGOR (Frère Daniel)
Luis ACEVES CASTANEDA (Trifon)
Enrique Del CASTILLO (Le mutilé)
Francisco REIGUERA (Un moine)
Antonio BRAVO (Un moine)
ANECDOTESRéalisé en 1965, au Mexique, SIMON DU DÉSERT est un long-métrage inachevé, car les fonds vinrent à manquer pendant son tournage. Le matériel filmé fut néanmoins monté et présenté au Festival de Venise, la même année, où il obtint le Prix Spécial du jury.
Ce devait être le premier volet d'une trilogie sur le thème de la lutte entre le bien et le mal. Ce projet n'eut pas de suite.
SIMON DU DÉSERT ne trouva pas de distributeur avant 1969 en raison de sa durée : trop long pour un court métrage et trop court pour un long. Il fut projeté alors dans une seule salle d'art et d'essai - avec NOUS DEUX de Michel Boguine et LES HIPPIES DE SAN FRANCISCO de Anne de Gasperi - le même mois que LA VOIE LACTÉE, dont il apparut comme une ébauche.
Pour ces deux films, Buñuel s'est inspiré de textes authentiques relatifs aux anachorètes et se défendit de toute impiété.
CRITIQUESMon avisCurieux film de Buñuel, son dernier tourné au Mexique, ce moyen métrage, par manque de moyens financiers pour l‘achever, se termine de manière abrupte. D’autres scènes auraient dû être tournées, Simon devant finir sur une colonne plus haute, de vingt mètres avec l’arrivée de hauts dignitaires de l’église, une visite de l’empereur de Byzance, etc. Néanmoins tel quel le film se tient et reste cohérent. Ce Simon, inspiré de Siméon le stylite, au IV ème siècle, se tient en haut d’une colonne, pour se rapprocher de Dieu, passe ses journées en prière, pénitence et accessoirement à faire des miracles comme rendre l’usage de ses bras à un nécessiteux ayant perdu les siens, miracle auquel personne ne prête garde. C’est encore un personnage solitaire, obsédé par une idée fixe qui attire Buñuel et l’émeut par sa sincérité, son désintérêt et son innocence (ainsi dans un séquence il ne peut pas comprendre la notion de propriété).
Simon sera tenté par le diable qui prendra diverses formes (toujours incarné par Sylvia Pinal) pour le séduire et le faire redescendre sur terre : une enfant au cerceau avec des bas noirs, Jésus avec une barbe et un agneau dans les bras et enfin une femme voluptueuse au sein dénudé à bord d’un cercueil roulant. Mais Simon reconnaîtra à chaque fois le diable sous son déguisement. Finalement, le temps d’un vol d’avion supersonique, le diable réussira à l’emmener dans un night-club bruyant à New-York dans les années 60. Là il sera condamné à supporter les corruptions humaines jusqu’à la fin, un autre occupant ayant pris sa place sur la colonne
Détail amusant : Simon ne se nourrit que de feuilles de laitue et d’eau, en conséquence il ne peut pas avoir d’abondantes déjections, Buñuel nous le dit mais ne le montre pas mais pour lui c’est une image intéressante mêlant spiritualité et réalisme (il fait allusion à la description qui en est donnée dans La légende dorée de Jacques de Voragine dont il s’est inspiré pour le film : « La merde dégoulinait le long de la colonne comme de la cire coule des cierges »).
Le film est empli d’humour noir malgré le sérieux de son sujet, et l’on rit aux apparitions du diable toujours démasqué, du nain zoophile voulant faire bénir sa chèvre adorée, du moine possédé pris par une crise de rage écumante ou d’autres personnages se présentant au pied de la colonne.
Autres critiques"Buñuel est si proche des problématiques de son personnage principal, un saint, qu’on en oublierait presque son anticléricalisme. Les tourments de Simon révèlent une connaissance très profonde de la foi chrétienne à travers ses contradictions. Ce n’est d’ailleurs pas la première fois qu’il suit cette voie après Nazarin. La rigueur de Buñuel dans son travail de mise en scène ferait presque de lui un prêtre dont la messe où il officie est un film. Il joue d’ailleurs également des symboles et de la foi de ses fidèles/spectateurs pour rendre son film possible. En cela, Buñuel ne se situe pas dans le souci de la retranscription de la réalité, mais préfère user de symboles et d’allusions diverses pour témoigner de la réalité vécue."
Cédric Lépine -
Fichesducinéma.com"Simon du désert est le dernier film de sa période Mexicaine. Quelque chose comme une œuvre bâtarde (un moyen métrage d’environ 45 minutes) et méconnue, co-écrite avec le scénariste Julio Alejandro (Tristana) qui propose une relecture parodique des rites religieux en ajoutant une dimension subversive. Il reprendra cette démarche pour La voie lactée, co-écrit avec Jean-Claude Carrière, où des personnages réels ou mythes d’époques différentes se confondent dans un même espace-temps. Simon est un double de Saint-Simeon, ascète syrien qui aurait vécu quarante ans sur une colonne. L’histoire démarre alors qu’il est resté six mois six semaines et six jours en haut de sa colonne. L’importance des chiffres n’est pas un hasard: elle annonce l’intrusion du malin dans un univers sacré et révèle les tentations de l’homme pieu en plein jeûne qui passe sa vie les bras suppliciés à manger de la salade et de l’eau. Toutes les offrandes sont automatiquement refusées pour prouver l’obstination de sa démarche. Progressivement, il perd la foi, taraudé par des pulsions. Malgré les tentations, il doit pour conserver son image de Saint vanter une image d’abstinence et d'abnégation. Certaines figures démontrent que Buñuel affirme déjà son style qui mêle le profane et le surréalisme: il reprend l’image des fourmis issus du Chien andalou pour trahir le trouble mental d'un homme comme les autres.
En filigrane, la leçon humaine de Simon du désert est grande sur les méfaits du culte: Simon subit les mêmes controverses que Jésus en étant renié par quelques comparses qui ignorent même les mots qu’ils emploient. Buñuel introduit l’idée que les traîtres sont possédés par le diable et révèle la corruption de l’âme. Pour mieux se mortifier par rapport à ses désirs et les événements, Simon va s'imposer des punitions comme rester en équilibre sur un pied. Le diable arrive sous les traits d’une femme aux regards équivoques qui devient tour à tour joueuse de cerceaux aux expressions enfantines, pasteur complaisant et vamp qui se déplace dans un cercueil automoteur. Les dix dernières minutes négocient un virage inattendu où Simon lève les yeux au ciel et voit un avion qui l’emmène à New York dans une boîte de nuit. Il prend l’apparence d’un intellectuel moderne et le diable, d’une danseuse qui accomplit un bal final nommé «chair radioactive». Loin de toute spiritualité face aux couples devant lui qui dansent de manière charnelle, il désire repartir mais il est trop tard: on l’a remplacé.
Le résultat qui affiche un mépris souverain envers les conventions narratives usuelles constitue une aubaine pour ceux qui ne connaissaient pas cette dérive remarquable, brève mais intense, où Buñuel apporte la touche finale aux interrogations métaphysiques de L’âge d’or en ridiculisant ouvertement tous les personnages strictement intéressés. Comme le quidam qui retrouve ses mains et peut retourner travailler normalement afin d'aider sa petite famille. Lorsque le miracle se produit, il n’éprouve aucune joie et n'exprime aucune reconnaissance. Buñuel n’est pas le misanthrope coincé en haut de sa tour d’ivoire que certains aimeraient voir à travers ce film. En montrant un homme qui aspire à une élévation spirituelle sans prendre soin de son corps (opposition claire entre la méta et le physique), le cinéaste avoue une fascination certaine pour tout ce qui a attrait à la religion sans y croire un seul mot. On l’a toujours considéré comme un anticlérical mais il se considère avant tout comme un athée marqué par une éducation catholique rigoriste et stigmatise sa vraie cible: ceux qui font mine d’y croire en se pensant pur et innocent. La tentation du diable viendra rappeler à quel point l’homme n’est pas tout blanc ni tout noir mais constitue une confusion d’ambiguïtés. Le scénario est le reflet de cette indécision permanente entre bien et mal, en s’appuyant sur des bases religieuses solides (Buñuel a étudié le catéchisme) et des restes d’écriture automatique (sa marque de fabrique) où les événements obéissent à la logique capricieuse des rêves. C’est drôle, surprenant et troublant sans en avoir l’air. Comme dirait Malraux, un beau cauchemar."
Romain Le Vern -
DvdramaAFFICHES
PHOTOS






VIDEOS