RESUMELa bonne du couple Foucauld bute sur un mot difficile alors qu'elle lit un épisode sacrilège de la guerre napoléonienne en Espagne. Echappant à sa surveillance/ la jeune Véronique a suivi un quidam aux allures de satyre qui lui a offert une série de cartes postales, Les parents sont horrifiés en regardant les photographies... de monuments célèbres, notamment l'obscène Sacré-Coeur de Paris. Après avoir renvoyé la bonne, Foucauld raconte un rêve étrange à son médecin. La consultation est interrompue par le départ précipité de l'infirmière, appelée au chevet de son père mourant. Dans une auberge, elle rencontre un quarteron de moines iconoclastes, un musicien et une danseuse espagnole, un chapelier masochiste et sa collaboratrice, un jeune homme amoureux de sa vieille tante au corps de jouvencelle. L'infirmière accepte dans sa voiture un professeur qui se rend dans une école de gendarmerie pour un cours sur la relativité des moeurs. L'exposé, troublé par le chahut, est interrompu par les départs successifs des élèves en uniformes. Deux d'entre eux interceptent Legendre, en flagrant délit d'excès de vitesse/ mais ils ne verbalisent pas. Legendre, qui vient d'apprendre qu'il a un cancer, s'inquiète de la disparition de sa fillette. Les recherches s'organisent en présence de la petite disparue. Tandis qu'un dangereux tueur, accusé de dix-huit meurtres, quitte librement le tribunal où il vient d'être condamné à mort, le préfet de police annonce à Legendre l'heureux aboutissement de son enquête. Arrêté pour profanation de sépulture, le haut fonctionnaire est accueilli par un autre préfet de police qui le considère comme son égal. Les deux préfets se rendent au zoo pour réprimer une agitation révolutionnaire.
FICHE TECHNIQUERéalisation : Luis BUÑUEL (1974)
Scénario : Luis BUÑUEL, Jean-Claude CARRIÈRE
Directeur de la photographie : Edmond RICHARD (Eastmancolor)
Production : Serge SILBERMAN - Greenwich Film
Distribution : 20th Century-Fox
Durée : 103 minutes
Genre : Comédie
Sortie France : 11 septembre 1974
DISTRIBUTIONJulien BERTHEAU : Le premier préfet de police
Jean-Claude BRIALY : Foucauld
Michael LONSDALE : Le chapelier masochiste
Pierre MAGUELON : Le gendarme Gérard
François MAISTRE : Le professeur des gendarmes
Michel PICCOLI : Le deuxième préfet de police
Jean ROCHEFORT : Legendre
Bernard VERLEY : Le capitaine de dragon
Monica VITTI : Madame Foucauld
Milena VUKOTIC : L'infirmière
Adriana ASTI : La soeur du préfet de police
Claude PIÉPLU : Le commissaire
Adolfo CELI : Le médecin de Legendre
Paul FRANKEUR : L'aubergiste
Marie-France PISIER : Madame Calmette
Hélène PERDRIERE : La vieille tante
Pascale AUDRET : Mme Legendre
Jenny ASTRUC : La femme du professeur
Ellen BAHL : Françoise, la nurse des Legendre
Philippe BRIGAUD : Le satyre
Jacques DEBARY : Le président du tribunal (crédité Jean Debarry)
Anne-Marie DESCHOTT : Edith Rosenblum
Paul LE PERSON : Le père Gabriel
Pierre LARY : L'assassin acquitté
Maxence MAILFORT : Le lieutenant des dragons
Guy MONTAGNE : Le jeune moine (as Gilbert Montagné)
MUNI : La bonne des Foucauld / Foucauld family nanny
Bernard MUSSON : Le père Raphaël / Monk
Marcel PERES : Un moine
Jean ROUGERIE : Charles, l'hôte à la réception mondaine
Orane DEMAZIS : La mère du premier préfet de police
José Luis BARROS : Un condamné à mort (non crédité)
José BERGAMIN : Un condamné à mort (non crédité)
Luis BUNUEL : Un condamné à mort (non crédité)
Serge SILBERMAN : Un condamné à mort (non crédité)
Janine DARCEY : La cliente du second médecin (non crédité)
Didier FLAMAND : Le secrétaire du préfet de police (non crédité)
ANECDOTESLe scénario est inspiré d'un conte de Gustavo A. Becquer, poète romantique espagnole. Le titre est tiré de la première phrase du Manifeste du Parti communiste de Karl Marx et Friedrich Engels : « Un fantôme [le capitalisme] parcourt l'Europe ».
A 72 ans, Luis Buñuel conçut son 31e et avant dernier film LE FANTÔME DE LA LIBERTÉ comme une suite de séquences avortées où chaque embryon de récit se dissout dans le dérisoire, le non-sens ou la pirouette insolente.
Dans son livre autobiographique "Mon dernier soupir", il révéla que le titre de son film, déjà présent dans LA VOIE LACTÉE est "un hommage discret à Karl Marx, à ce spectre qui parcourt l'Europe et qui s'appelle le communisme ", selon les termes du "Manifeste". Comme il l'avait fait dans l'ouverture d UN CHIEN ANDALOU, Buñuel s'est ici mis en scène. C'est ainsi que les quatre Espagnols que fusillent les Français sont José-Luis Barros (le plus grand), le producteur Serge Silberman (avec un bandeau sur le front), José Bergamin et Luis Buñuel, dissimulé sous la barbe et le froc d'un moine.
Ce film s'inscrit dans le mouvement surréaliste. Il est basé sur un procédé qui consiste à suivre l'histoire d'un personnage, puis celle d'un autre après que les deux se soient rencontrés et ainsi de suite. Un parallèle est faisable entre cette construction et la réalisation d'un cadavre exquis, forme inventé par les surréalistes. Ce parallèle doit être cependant nuancé par les propos de Buñuel lui-même :
"Un même récit qui passe par des personnages différents et qui se relayent. J'avais déjà entrevu cela dans l'Age d'or, où nous commencions par des scorpions, nous poursuivions par avec les bandits, la fondation de la ville, puis les amants et la fête dans le salon, et nous terminions avec les personnages des 120 jours de Sodome. La différence est que dans le fantôme de la liberté, les épisodes sont plus liés, ils se heurtent moins : ils coulent naturellement. (…) Le fantôme de la Liberté ne fait qu'imiter le hasard il a été écrit en état de conscience ; ce n'est pas un rêve ni un flot délirant d'images."
Pour en rester au titre du film, Buñuel en donne une explication dans les entretiens de 1975 et 1979 réalisés par Thomas Péres Turrent et José de la Colina, de son origine:
« D'une collaboration entre Marx et moi. La première ligne du manifeste du parti communiste dit : "Un fantôme parcourt l'Europe…", etc. Pour ma part, je vois la liberté comme un fantôme que nous essayons d'attraper et…nous étreignons une forme brumeuse qui ne nous laisse qu'un peu d'humidité dans les mains. (…) Dans mon film, le titre a surgi de façon irrationnelle, comme celui d'Un chien andalou, et pourtant, je pense qu'aucun titre n'est plus adéquat, dans un cas comme dans l'autre, à l'esprit du film ».
CRITIQUESMon avisPeut-être un de mes Bunuel préférés, « le fantôme de la liberté » est aussi un film en totale liberté de ton qui amuse énormément en même temps qu’il provoque en poussant toutes les situations jusqu’à l’extrême de leur étrangeté et surréalisme assumé avec grande maîtrise. Les épisodes se succèdent amenés chaque fois par un personnage qui sort d’une histoire pour en introduire une nouvelle où il disparaîtra à son tour au profit d’un autre personnage et ainsi de suite, un peu à la manière de « portes qui s’ouvrent l’une après l’autre ». Bunuel n’hésite pas à abandonner une histoire à laquelle on commence à s’attacher pour passer à une autre qui au départ paraît moins intéressante et qui pourtant s’avèrera tout aussi captivante. Bunuel procède par inversion et renverse les codes et conventions de situations attendues pour nous en montrer l’exact contraire, ainsi : les cartes postales qu’un monsieur exhibe et offre à deux fillettes dans un jardin public ne s’avèreront en guise d’images choquantes n’être que des vues banales de Paris (L’Arc de Triomphe, la tour Eiffel, la Madeleine, les Champs-Elysées, surtout le Sacré-Cœur summum de l’obscène !), des moines dans une auberge jouent au poker, fument boivent et misent des chapelets, scapulaires, un chapelier en compagnie de son assistante (magnifique Michel Lonsdale se faisant fouetter avec un pantalon découvrant tout son fessier) se livrent à des ébats sado-masochistes devant ses mêmes moines, un jeune homme incestueux s’apprêtant à faire l’amour avec sa vieille tante découvre un corps de jeune fille sous le drap, une école de gendarmes qui chahutent comme de grands gamins, un dîner bourgeois où tous les convives sont conduits autour d’une table où les sièges sont des cuvettes de water-closets , on défèque en public mais on s’isole tout seul en cuisine pour manger, une fillette est portée disparue à l’école mais elle est pourtant bien là sous nos yeux, ses parents ne font même plus attention à sa présence et vont prévenir la police de sa disparition, la fillette étant à leur côté lors de la déposition, un tueur « poète » en séries , tirant aveuglément du sommet de la tour Montparnasse sur des passants, est condamné en cour d’assises mais est aussitôt libéré, signant même des autographes à la sortie, etc.
Chaque épisode est poussé dans ses recoins les plus grotesques, extravagants et absurdes. Bunuel s’amuse (« J’ai toujours gardé ce goût pour la surprise, la confusion, pour ce qui choque » dira-t-il) et nous amuse, mais ce faisant il déstabilise le spectateur dans son conformisme et dans ses attentes. L’ouverture (en 1808 à Tolède exécution de prisonniers lors des guerres napoléoniennes) et la conclusion (opération répressive de manifestants au zoo de Vincennes) du film se répondent, on peut y entendre les mêmes cris : « Vivan las cadenas ! », c'est-à-dire « Vivent les chaînes ! », le peuple rejetant paradoxalement dans les deux cas, à des années d’intervalle, l’idée de liberté ou d’une certaine liberté qu’on veut lui vendre.
Le plan final de l’autruche est mémorable et splendide avec ses cils frisés et son regard plein d’innocence tourné vers le spectateur, trahissant une certaine incompréhension devant la bêtise humaine. Dans le rêve du personnage joué par Jean-Claude Brialy, nous retrouvons aussi des animaux : un coq et une autruche. « Les animaux sont des êtres pleins de vie, qui me donnent de la joie. Mais parfois, hors contexte, ils peuvent devenir très inquiétants » dixit Bunuel.
« Le fantôme de la liberté » , immense chef d’œuvre, aurait dû être le dernier film de Bunuel , mais il livrera encore un ultime grand film avec « Cet obscur objet du désir » en guise de film testament.
Autres critiquesAnalyse du film par le cine-club de CaenAFFICHES



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