RESUMEFrançois est un jeune professeur de français dans un collège difficile. Dans sa volonté d'instruire sans pour autant domestiquer, François n'hésite pas à aller chercher les adolescents là où ça fait mal, les mettant souvent face à leurs limites afin de les motiver. Quitte à prendre parfois le risque du dérapage.
FICHE TECHNIQUERéalisateur : Laurent Cantet
Scénario : Laurent Cantet, François Bégaudeau, Robin Campillo
D'après l'oeuvre de François Bégaudeau
Directeur de la photographie : Pierre Milon
Production : Haut et Court, France / France 2 Cinéma, France / Canal + (France), France / Ciné Cinéma, France
Distribution : Haut et Court, France
Genre : Drame
Date de sortie : 15 Octobre 2008
DISTRIBUTIONFrançois Bégaudeau (François)
AUTOUR DU FILMCRITIQUES"Retour de balancier après l'explosion médiatique cannoise, un doute pourrait surgir. Palme d'or 2008 peut-être, mais Entre les murs, de Laurent Cantet, est-il un film si exceptionnel que cela, avec ses petits moyens, ses non-comédiens, son refus délibéré d'en mettre plein la vue, son propos sociopolitique brûlant ? La réponse est oui, sans l'ombre d'un doute.
hambre d'écho des questions, malaises, dilemmes et combats qui agitent le monde depuis plusieurs années en matière d'éducation, d'identité, de culture, d'intégration, Entre les murs arbore comme rarement une palette d'émotions, il est à la fois ou tour à tour grave, subtil, incisif, perturbateur, drôle, poignant. Sa récompense est indiscutable. Son impact dépasse largement les frontières hexagonales, comme l'a démontré l'accueil que lui fit sur la Croisette un jury international, une presse et des acheteurs étrangers subjugués.
Ce qu'il nous donne à voir est un face-à-face entre un homme et un groupe constitué d'individus aux sensibilités épidermiques. Un professeur de français dans une classe de quatrième d'un collège parisien du 20e arrondissement. Histoire d'une année scolaire, condensée en deux heures, donc réduite à ses moments de tensions, de crises ou d'instants signifiants. Histoire d'un pédagogue adulte, de tempérament optimiste, confronté à la jeunesse, à l'imprévu, à l'intolérance, à l'ingratitude, aux difficultés de la communication, aux fossés dialectiques, au choc des cultures, aux pièges du dérapage, aux risques du métier, à la solitude.
Cet homme, François, interprété à la perfection par François Bégaudeau (enthousiaste, complice, ironique, fatigué, opiniâtre, idéaliste, décontenancé, affecté, amer), ancien professeur et auteur du livre adapté (éd. Verticales), n'est pas seulement en danger de rupture avec ses élèves, mais aussi avec un corps enseignant parfois lassé, irrité, répressif. "J'en ai marre de ces guignols, j'peux plus les voir", lâche le professeur de technologie.
Attentif à filmer le travail et les crispations qu'il génère, Cantet plonge ce Bégaudeau fictif dans le même désarroi que le DRH de Ressources humaines (1999) aux prises avec ouvriers et syndicat à l'heure de l'application des 35 heures, que le sans-travail de L'Emploi du temps (2001) englué dans le mensonge pour ne pas perdre la face : comment trouver sa place, être en phase avec les gens qui vous entourent, conjuguer l'être et le paraître, atténuer l'écart entre dominés et dominant, résister au corps social sans déchoir, rester soi-même en paraissant dans la norme, préserver son identité sans subir les foudres du jugement collectif ?
Mais dans le cadre de cette école de la République, lieu de mixité sociale, caisse de résonance des problèmes d'immigration, de sans-papiers, ces questions, et les rapports de pouvoir et de résistance à l'autorité qu'elles sous-entendent, les élèves de François et leurs parents se les posent aussi. Dans Entre les murs, la difficulté à être ensemble, à se comprendre et à refuser la résignation sans provoquer la violence et l'exclusion, est vécue des deux côtés de l'estrade.
Le film raconte comment François, en dépit de son talent à improviser, à mettre ses élèves à l'aise, à converser d'égal à égal, à respecter la subjectivité de chacun, se heurte à l'indiscipline, à l'insolence, au refus, à la vanne, à la rébellion, et dérape, oublie le poids des mots, fait un faux pas, brouille son seuil de tolérance. Et comment il frôle sans cesse l'impasse, comment sa classe véhicule homophobie ou antisémitisme, comment un élève d'origine malienne renvoyé après conseil de discipline est condamné à retourner dans son pays. Il y a une constante dans le cinéma de Laurent Cantet : celle de l'échec, de la défaite de l'individu face au corps social.
Polémique sur l'opportunité d'apprendre l'imparfait du subjonctif ("Si on l'utilise, tout le monde va dire : "Hou là, ils sont malades ou quoi ?""), parano de Khoumba qui refuse de lire un texte ("Vous avez la rage et vous vous en prenez à moi !"), ras-le-bol de Juliette et de ses copines d'être "traitées de thon dès qu'on a quelques kilos de trop !", apostrophes de filles entre elles ("T'as pété un câble ou quoi ?"), dignité d'une mère africaine ne parlant pas un mot de français face au principal qui lui signifie que son fils est un perturbateur...
La magie du film est là, dans la dextérité avec laquelle Cantet capte cette vie bouillonnante entre quatre murs, ce brouhaha permanent, la honte de soi des uns et la tchatche des autres, les éternelles palabres, débats houleux, protestations contre un prof trop "vénère" ("énervé"), et l'irruption brutale de l'émotion, au spectacle d'un élève paumé, d'un rejeté sans défense.
Sous contrôle de cet enseignant qui vit sa mission comme un sacerdoce, et épatés par le parler tonique de ces ados frondeurs qui ont le verbe haut parce qu'ils jouent comme au théâtre ("Moi des fois je traite Khoumba de Négresse, mais ça veut rien dire !"), on s'amuse beaucoup, même quand on rit jaune, lorsque Boubacar et Souleymane s'en prennent à la prétendue sexualité du professeur ("Y'en a qui disent vous aimez les hommes"), lorsque Sandra se plaint d'avoir été "insultée de pétasse", persuadée sans en démordre qu'une pétasse est une prostituée ("C'est pas normal qu'on s'fasse traiter par les profs de l'école !"). Le bureau du principal est surnommé "Guantanamo".
Somptueusement, Entre les murs filme la guerre de la parole. D'un côté l'enseigner, savoir riposter, répliquer dans l'instant, gérer l'instant où ça coince, de l'autre avoir le droit de la prendre, épater le professeur en faisant l'éloge de La République de Socrate : "Je l'aime bien lui, il parle tout le temps, c'est trop marrant", lâche Sandra. Fondé sur la maïeutique, le film rend hommage à ce prof capable d'amener ses élèves à décoder le savoir en leur parlant comme à des adultes, de la même manière que ce "type qui, sur l'agora, écoute les gens, et après il leur dit : "Eh toi, qu'est-ce que tu viens de dire là ? T'es sûr que c'est vrai ce que tu viens de dire ?" Des choses comme ça". Lectrice du bouquin de Socrate que lui a conseillé sa grande soeur, Sandra n'est pas peu fière de pouvoir dire à son professeur que "c'est pas un livre de pétasse". Car l'enjeu ici, c'est d'avoir le dernier mot. "
Jean-Luc Douin -
Le mondePHOTOS
VIDEOS