RESUMEDans la Chine contemporaine des années 50, 70 et 2000, trois femmes travaillent pour l'usine de fleurs Factory 420. Cette dernière se situe dans la ville en pleine évolution de Chengdu, dans la province du Sinchuan dans le sud-ouest du pays. De générations différentes, elles sont chacune à la recherche de leur destin personnel dans un monde en pleine modernisation. Trois personnalités reflétant la transition du collectivisme à l'individualisme.
FICHE TECHNIQUERéalisateur : Jia Zhangke
Scénario : Jia Zhangke, Zhai Yongming
Chefs opérateurs : Nelson Yu Lik-Wai, Yu Wang
Durée : 1h52
Autres Titres : Twenty Four Cities, Twenty Four City
DISTRIBUTIONJoan Chen Zhao Tao Chen Jianbin Lu Liping AUTOUR DU FILMCRITIQUES"...Un candidat sérieux pour le palmarès, si l’on repense au désir affirmé par Sean Penn au début du festival de récompenser le film d’un cinéaste «qui se soit révélé très conscient du monde qui l’entoure».
A ce titre, Jia Zhang-ke poursuit une œuvre qui ne cesse d’interroger «les bouleversements rapides de la société chinoise et des blessures qu’ils provoquent sur l’individu». Déjà lauréat d’un Lion d’or à Venise pour «Still Life» en 2006, ce réalisateur chinois de 37 ans a planté cette fois sa caméra dans une ancienne cité industrielle prête à être transformée en complexe d’appartements de luxe. Les vrais témoignages de dizaines d’ouvriers, à qui il a «demandé de faire un effort de mémoire» ont été synthétisés et rejoués par des comédiens, dont Joan Chen, une célèbre star chinoise.
Parler de «jeu» est un peu abusif: le film n’étant constitué que de témoignages en forme de longs plans fixes entrecoupés de quelques images de chants traditionnels ou de l’usine en cours de démolition. Une mise en scène volontairement austère, destinée à mettre en valeur la parole au détriment de l’action, malgré l’effet dramatique que produisent les amas de pierres, comme une image prémonitoire du tremblement de terre à venir dans cette province du Sichuan."
Stéphane Leblanc -
20 minutes "La classe ouvrière ira-t-elle au paradis ? C'est le vœu du cinéaste Jia Zhangke qui, poursuivant sa chronique des mutations de la société chinoise, recueille les confessions de huit anciens habitants d'une cité de Chengdu, la capitale de la province du Sichuan, au centre de la Chine. Les immeubles de cette cité sont en train d'être rasés, ainsi que l'usine d'aéronautique n° 420 qui nourrissait cette population, pour laisser place à un complexe d'appartements de luxe nommé "24 City".
En voyant ces images d'ateliers déserts et de chantiers de rénovation, on pense aux démolitions de quartiers historiques imposées par le gouvernement chinois afin de préparer les sites des Jeux olympiques. Interrogé sur un éventuel lien entre 24 City et les polémiques qui entourent la préparation des JO, Jia Zhangke préfère évoquer le séisme qui vient de frapper la Chine, dans cette région de Chengdu où il avait planté sa caméra. Avant la projection officielle de son film, en compétition à Cannes, samedi 17 mai, debout à la tribune de la conférence de presse, tête baissée, il a observé quelques minutes de silence.
Austère, conceptuel, 24 City prolonge une réflexion sur l'interpénétration entre le documentaire et la fiction, que le cinéaste avait engagée avec Plateforme (2001). Hormis des inserts montrant les lieux condamnés à la pelleteuse, une chorale de femmes chantant L'Internationale, un papillon posé sur le rebord d'une fenêtre sale dans un hangar désaffecté, le film est composé uniquement d'entretiens. Jia Zhangke interroge trois femmes et cinq hommes. Ils appartiennent à trois générations. Les plus âgés évoquent leur nostalgie du socialisme d'antan, le respect des instruments de travail que leur ont inculqué les vieux maîtres des ateliers. Les plus jeunes disent leur désir de réussite dans un monde voué à l'économie de marché, où ils se retrouvent sans travail à 40ans.
Il y a une sorte d'entourloupe expérimentale dans cette succession de témoignages. Certains (ceux des ouvriers) sont pris sur le vif, d'autres pas. Jia Zhangke a fait rejouer certains des récits par des acteurs, "pour réaliser un devoir de mémoire", dit-il. "Tout s'oublie, on n'a plus le droit de parler d'histoire, ni de discuter d'hier. Moi, je cherche à comprendre d'où je viens, à lutter contre l'oubli." Ce jeu de brouillage entre les émotions spontanées et les larmes factices produit parfois un effet humoristique. Une jeune femme raconte que les garçons l'avaient surnommée la "pièce standard" parce qu'elle était la plus belle de l'usine, et qu'elle s'identifia à "Petite Fleur", héroïne d'un film chinois de l'époque interprétée par l'actrice Joan Chen. Or c'est Joan Chen elle-même qui interprète le rôle de cette ouvrière : bel effet d'écho visuel entre une tranche de vie, une identification et une recréation sublimée.
Education sentimentale du temps de l'adolescence, traumatisme d'une mère ayant égaré son enfant lors d'un voyage, bilan désabusé de la "Petite Fleur" restée célibataire : comme dans Still Life (2007), Jia Zhangke insiste sur les conséquences des mutations de la société sur la vie privée de ses protagonistes. Comme le poétise Yeats dans l'une des citations qui rythment le film, "les choses que nous avons pensées et faites se répondent forcément avant de s'estomper". Tout l'art de Jia Zhangke est de garder trace de ce qui s'efface.
Jean-Luc Douin -
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